La sécularisation des sociétés occidentales, fruit d’un processus social qui repoussera la sphère religieuse jusqu’aux confins de l’existence privée, de l’individu, a limité l’expression d’une certaine religiosité dans l’espace commun. Nul doute que notre monde laïcisé s’est constitué sur le rejet de la transcendance d’un ordre religieux dans ses institutions, au profit d’un rapport au monde basé sur l’individu. Parallèlement, l’instigation des valeurs humanistes, des droits de l’homme et de l’égalité en réels systèmes régissant l’organisation sociale ainsi que l’échec des grandes idéologies politiques ont confiné le domaine de la croyance à un réceptacle miniaturisé. Cette conjoncture a permis à l’art contemporain d’investir le domaine de la religiosité et du sacré, d’une manière jusqu’alors inconnue de la sphère artistique. L’art, dans un contexte où les dieux du passé ont disparu, a réussi à «fonder une démarche artistique sur le sacré[1]». Parce que si la société moderne s’est séparée de son assujettissement par la religion, elle «ne s’est pas libérée d’un besoin de religiosité ni d’une conception transcendantale de l’art[2]». La sacralisation de l’art contemporain est accompagnée d’une multitude de caractéristiques propres au domaine de la religion, dont notamment, les reliques. Comment est-il possible d’interpréter cette réminiscence des reliques en art, dernière apologie des incidences d’une sacralité propre à l’esthétique de l’art contemporain? Bref, de quelle manière ce retournement esthétique s’est-il opéré?
Le caractère sacré de l’art contemporain se manifeste sous plusieurs facettes, nous laissant croire que l’art en tant qu’institution désire la consécration de sa religiosité et le statut d’une religion constituée. Le rôle des lieux d’expositions n’est pas à minimiser, de fait, galeries ou musées participent grandement à créer une atmosphère spirituelle entourant l’art contemporain. De fait, ils génèrent des métamorphoses en sacralisant les objets qu’ils contiennent. Ainsi, la définition officielle d’un espace culturel n’est pas sans rappeler les caractéristiques d’un lieu de culte : «lieu permanent, consacré à la création contemporaine et ouvert au grand public»[3]. Par ailleurs, la horde d’individus se présentant aux expositions et qui semblent attendre une certaine révélation s’inscrit clairement dans la dynamique du pèlerinage. Certaines expositions proposent même une présentation d’œuvres qui est fortement ritualisée et «[qui] s’apparente à un rituel d’offrandes; souvent on demande au spectateur de se déchausser pour entrer dans l’installation, dont le sol acquiert ainsi une sacralité»[4]. De plus, l’artiste, qui avec la déconfiture des élites semble être le seul à pouvoir prétendre au statut d’individu sacré, revêt les habits du maître de cérémonie, du chaman, dans des prestations évoquant une certaine forme de religiosité. En effet, l’exemple le plus probant de ces events est certainement celui d’Otto Muehl et des Actionnistes viennois. Ces derniers, usant de l’imagerie religieuse, célèbrent messes macabres et sacrifices d’animaux devant un public d’adorateurs.
Par ailleurs, il incombe de préciser que s’il y a réminiscence du sacré en art contemporain, ce sacré est extrêmement éloigné des icônes. En fait, cette dernière se situe par rapport à l’art contemporain de la même manière dont celui-ci se situe face aux arts qui l’ont précédé. Le rapport qu’entretiennent les icônes avec l’art jusqu’au modernisme est comparable à la relation entre l’art contemporain et les reliques. Contrairement à l’icône, la relique agit dans un rapport objectif au corps qui lui est rattaché[5], elle apporte une restitution physique, une réincarnation de l’art. Tandis que ce sont les images sacrées qui ont préfiguré ce que nous appelons Art, nous en sommes aujourd’hui dans un univers esthétique qui a intégré la manipulation des reliques. Étonnamment, tandis que «les institutions religieuses ont délaissé le culte des reliques, avec toutes les satisfactions sensorielles qui l’accompagne, l’art le réinvestit»[6]. On assiste donc à une réincarnation de l’art parallèle à la désincarnation de la religion.
Dans le sens religieux du terme, la relique peut prendre la forme du reste corporel d’un saint, d’un objet ayant un lien avec la vie du christ ou des saints, ou encore, être un objet qui a touché le corps d’un saint[7]. Donc, on peut affirmer, en se basant sur les préceptes de la religion, que la sacralité de la relique suppose qu’un culte doit lui être rendu. Évidemment, la relique suppose une croyance en une transcendance, à un référent immatériel qui justifie le sentiment éprouvé lors de sa présence. Tel que mentionné précédemment, l’art contemporain est intimement lié à la réalité objective de la relique, de fait, combien d’expositions présentent dans un contexte rituel des images, des objets ainsi que des parties du corps à peine élaboré qui prétendent au statut d’art plastique. Les exemples sont nombreux, l’œuvre Lengua(Langue) de Teresa Margolles en est un exemple éloquent. Cette artiste mexicaine expose la langue humaine et véritable d’un jeune punk décédé, au palais des beaux-arts de Mexico. En agissant ainsi, elle désire lui redonner une reconnaissance sociale grâce à cette forme de rédemption profane[8]. Que dire également des œuvres de Ron Mueck, des corps de cires ultra réalistes que l’on pourrait confondre avec la réalité et qui donnent l’illusion de la présence physique, qui comblent l’absence. Il n’est donc pas abusif de mentionner que les reliques intensifient le processus de sacralisation de l’art contemporain.
Bien que la présence des reliques dans l’art contemporain soit établie, il incombe de se questionner sur ce qui fait vraiment œuvre. Est-ce les objets et les fragments qui suscitent l’appréciation esthétique? Se trouver en contact visuel, physique ou olfactif avec ce que l’art contemporain nous propose comme reliques suffit-il pour éprouver la satisfaction de se trouver devant une œuvre d’art? L’appréciation qu’elle devrait susciter chez le public est-elle due à la réalité immédiate qui se dégage de sa présence? Ce que nous présente l’art contemporain en nous confrontant aux reliques, ce n’est pas la réalité crue de l’aspect physique de l’objet, mais bien la promesse d’une révélation. En art, la relique fait donc office de véhicule permettant la communion, une communion qui engendrera cette révélation de l’essence du sensible. L’œuvre n’est donc pas un objet, une matérialité, mais bien l’acte de croyance collectif qui engendre «la révélation […] dont les reliques exhibées auront permis la manifestation»[9]. Donc, l’art tout comme la religion, exhibe des reliques dans le dessein de créer une brèche par laquelle la réception de la révélation est rendue possible. Ces reliques constituent en fait des preuves qui attestent la véracité de la promesse faite dans le discours artistique entourant l’œuvre. Ce processus emprunté par l’art contemporain semble calqué sur le processus de croyance en une religion. Le visiteur de l’exposition, tel un pèlerin, contemple les reliques sacrées, ce qui lui permet de s’inscrire dans le domaine de la croyance, sa foi en la promesse faite par l’œuvre trouve dans les reliques une assurance qu’il y aura révélation du concept, de l’essence, bref, de l’art.
Si les reliques proposées par l’art contemporain permettent une telle révélation, c’est qu’elles ne sont plus considérées comme de simples objets, comme de banals fragments, mais bien comme la preuve, le témoignage, qu’il y a une présence, qu’il y a œuvre. Le discours, qui énonce verbalement la promesse d’une révélation, est ce qui permet de conférer à l’objet le statut de relique. Le discours permet la «transsubstantiation»[10] d’un simple objet ou partie de corps en véritable témoin, preuve, d’une œuvre entière, d’un concept qui va au-delà de la simple réalité physique. Cette «transsubstantiation» est possible grâce à l’annonce faite par le discours, le manifeste, entourant l’œuvre. À la manière des évangiles, qui ont déclaré aux fidèles de manger le pain et de boire le vin, le corps et le sang du Christ, car c’était l’eucharistie, c’est-à-dire une communication avec la divinité, les artistes arrivent à transformer un objet en relique signifiant l’existence d’une œuvre d’art. «Il n’est plus possible de croire à la présence […] sans le secours de la révélation qu’il promet : sous le carré noir croyez que la peinture pure est là»[11]. Paradoxalement, tandis que le visiteur aguerri est en présence du réel immédiat de la relique, il est confronté à une réalité invisible, promesse de se voir révéler ce que la relique représente d’immatériel. En art contemporain, on aspire donc à la révélation d’une essence immatérielle, d’une dématérialisation de l’art, qui se base sur la matérialité la plus brute, celle des reliquats.
L’importance des reliques en art contemporain est particulièrement visible dans les œuvres qui veulent créer un moment artistique. Par exemple, le happening, le event, la performance et l’exposition temporaire sont des pratiques où l’œuvre consiste en un moment évanescent, et où les œuvres secondaires et objectives, tels les installations, les photos ou les objets, «ont valeur à titre de circonstance et consacrent en fait l’éminence de l’acte de foi dans l’expérience esthétique»[12]. On peut donc affirmer qu’il y a perte d’une objectivité de l’œuvre. Pourtant, malgré l’immatérialité de l’œuvre, et même parfois l’impossibilité de la recréer, il subsiste toujours une croyance en celle-ci. Cette croyance transcende à travers les objets secondaires, ces indices qui nous permettent de croire qu’il y a effectivement eu œuvre. La pérennité de cette croyance est donc uniquement possible parce que l’art contemporain a exploré la possibilité de la relique et de ses pouvoirs quasi-mystiques. Sans l’usage de ses entités physiques secondaires, de ses reliques, «ces œuvres réduites à presque rien [et qui] semblent porter le témoignage en échos amoindris d’une présence entière», le happening ne pourrait pas propager la croyance en son essence d’œuvre. C’est grâce à la relique, qui est la preuve, la pièce à conviction de l’œuvre entière, qui permet la communion entre le croyant et le happening disparu, que les «moments artistiques» [13] ont pu se développer et même pénétrer le marché de l’art. En effet, les restes des cérémonies de Muehl ou de Beuys se sont rapidement retrouvés sur le marché de l’art au plus grand bonheur des collectionneurs évangélisés.
Un des exemples les plus significatifs de l’exposition de reliques, et ce, à une échelle réellement imposante, est l’œuvre intitulé «Inventaire des objets ayant appartenu à la jeune fille de Bordeaux» de Christian Boltanski. Cette exposition du musée d’art contemporain de Bordeaux est composée d’environ 200 objets qui rappellent, comme son nom l’indique, la vie d’une jeune fille. Objectivement, ces objets usuels peuvent ressembler aux fragments d’existence que nous retrouvons dans les musées patrimoniaux ou d’histoire populaire. Par contre, cet assortiment en centaines de ready-mades a provoqué chez les individus visitant l’exposition un sentiment qui va bien au-delà d’un «espace d’exercice pour la catharsis de nos nostalgies d’enfants ou d’adolescents[14]». En fait, ces reliquats, qui constituent l’échantillonnage d’une vie, suscitent chez les individus, lorsque l’acte de croyance en l’expérience esthétique est scellé, un renforcement de la confiance en l’existence qui fait sens :
Dans le sens religieux du terme, la relique peut prendre la forme du reste corporel d’un saint, d’un objet ayant un lien avec la vie du christ ou des saints, ou encore, être un objet qui a touché le corps d’un saint[7]. Donc, on peut affirmer, en se basant sur les préceptes de la religion, que la sacralité de la relique suppose qu’un culte doit lui être rendu. Évidemment, la relique suppose une croyance en une transcendance, à un référent immatériel qui justifie le sentiment éprouvé lors de sa présence. Tel que mentionné précédemment, l’art contemporain est intimement lié à la réalité objective de la relique, de fait, combien d’expositions présentent dans un contexte rituel des images, des objets ainsi que des parties du corps à peine élaboré qui prétendent au statut d’art plastique. Les exemples sont nombreux, l’œuvre Lengua(Langue) de Teresa Margolles en est un exemple éloquent. Cette artiste mexicaine expose la langue humaine et véritable d’un jeune punk décédé, au palais des beaux-arts de Mexico. En agissant ainsi, elle désire lui redonner une reconnaissance sociale grâce à cette forme de rédemption profane[8]. Que dire également des œuvres de Ron Mueck, des corps de cires ultra réalistes que l’on pourrait confondre avec la réalité et qui donnent l’illusion de la présence physique, qui comblent l’absence. Il n’est donc pas abusif de mentionner que les reliques intensifient le processus de sacralisation de l’art contemporain.
Bien que la présence des reliques dans l’art contemporain soit établie, il incombe de se questionner sur ce qui fait vraiment œuvre. Est-ce les objets et les fragments qui suscitent l’appréciation esthétique? Se trouver en contact visuel, physique ou olfactif avec ce que l’art contemporain nous propose comme reliques suffit-il pour éprouver la satisfaction de se trouver devant une œuvre d’art? L’appréciation qu’elle devrait susciter chez le public est-elle due à la réalité immédiate qui se dégage de sa présence? Ce que nous présente l’art contemporain en nous confrontant aux reliques, ce n’est pas la réalité crue de l’aspect physique de l’objet, mais bien la promesse d’une révélation. En art, la relique fait donc office de véhicule permettant la communion, une communion qui engendrera cette révélation de l’essence du sensible. L’œuvre n’est donc pas un objet, une matérialité, mais bien l’acte de croyance collectif qui engendre «la révélation […] dont les reliques exhibées auront permis la manifestation»[9]. Donc, l’art tout comme la religion, exhibe des reliques dans le dessein de créer une brèche par laquelle la réception de la révélation est rendue possible. Ces reliques constituent en fait des preuves qui attestent la véracité de la promesse faite dans le discours artistique entourant l’œuvre. Ce processus emprunté par l’art contemporain semble calqué sur le processus de croyance en une religion. Le visiteur de l’exposition, tel un pèlerin, contemple les reliques sacrées, ce qui lui permet de s’inscrire dans le domaine de la croyance, sa foi en la promesse faite par l’œuvre trouve dans les reliques une assurance qu’il y aura révélation du concept, de l’essence, bref, de l’art.
Si les reliques proposées par l’art contemporain permettent une telle révélation, c’est qu’elles ne sont plus considérées comme de simples objets, comme de banals fragments, mais bien comme la preuve, le témoignage, qu’il y a une présence, qu’il y a œuvre. Le discours, qui énonce verbalement la promesse d’une révélation, est ce qui permet de conférer à l’objet le statut de relique. Le discours permet la «transsubstantiation»[10] d’un simple objet ou partie de corps en véritable témoin, preuve, d’une œuvre entière, d’un concept qui va au-delà de la simple réalité physique. Cette «transsubstantiation» est possible grâce à l’annonce faite par le discours, le manifeste, entourant l’œuvre. À la manière des évangiles, qui ont déclaré aux fidèles de manger le pain et de boire le vin, le corps et le sang du Christ, car c’était l’eucharistie, c’est-à-dire une communication avec la divinité, les artistes arrivent à transformer un objet en relique signifiant l’existence d’une œuvre d’art. «Il n’est plus possible de croire à la présence […] sans le secours de la révélation qu’il promet : sous le carré noir croyez que la peinture pure est là»[11]. Paradoxalement, tandis que le visiteur aguerri est en présence du réel immédiat de la relique, il est confronté à une réalité invisible, promesse de se voir révéler ce que la relique représente d’immatériel. En art contemporain, on aspire donc à la révélation d’une essence immatérielle, d’une dématérialisation de l’art, qui se base sur la matérialité la plus brute, celle des reliquats.
L’importance des reliques en art contemporain est particulièrement visible dans les œuvres qui veulent créer un moment artistique. Par exemple, le happening, le event, la performance et l’exposition temporaire sont des pratiques où l’œuvre consiste en un moment évanescent, et où les œuvres secondaires et objectives, tels les installations, les photos ou les objets, «ont valeur à titre de circonstance et consacrent en fait l’éminence de l’acte de foi dans l’expérience esthétique»[12]. On peut donc affirmer qu’il y a perte d’une objectivité de l’œuvre. Pourtant, malgré l’immatérialité de l’œuvre, et même parfois l’impossibilité de la recréer, il subsiste toujours une croyance en celle-ci. Cette croyance transcende à travers les objets secondaires, ces indices qui nous permettent de croire qu’il y a effectivement eu œuvre. La pérennité de cette croyance est donc uniquement possible parce que l’art contemporain a exploré la possibilité de la relique et de ses pouvoirs quasi-mystiques. Sans l’usage de ses entités physiques secondaires, de ses reliques, «ces œuvres réduites à presque rien [et qui] semblent porter le témoignage en échos amoindris d’une présence entière», le happening ne pourrait pas propager la croyance en son essence d’œuvre. C’est grâce à la relique, qui est la preuve, la pièce à conviction de l’œuvre entière, qui permet la communion entre le croyant et le happening disparu, que les «moments artistiques» [13] ont pu se développer et même pénétrer le marché de l’art. En effet, les restes des cérémonies de Muehl ou de Beuys se sont rapidement retrouvés sur le marché de l’art au plus grand bonheur des collectionneurs évangélisés.
Un des exemples les plus significatifs de l’exposition de reliques, et ce, à une échelle réellement imposante, est l’œuvre intitulé «Inventaire des objets ayant appartenu à la jeune fille de Bordeaux» de Christian Boltanski. Cette exposition du musée d’art contemporain de Bordeaux est composée d’environ 200 objets qui rappellent, comme son nom l’indique, la vie d’une jeune fille. Objectivement, ces objets usuels peuvent ressembler aux fragments d’existence que nous retrouvons dans les musées patrimoniaux ou d’histoire populaire. Par contre, cet assortiment en centaines de ready-mades a provoqué chez les individus visitant l’exposition un sentiment qui va bien au-delà d’un «espace d’exercice pour la catharsis de nos nostalgies d’enfants ou d’adolescents[14]». En fait, ces reliquats, qui constituent l’échantillonnage d’une vie, suscitent chez les individus, lorsque l’acte de croyance en l’expérience esthétique est scellé, un renforcement de la confiance en l’existence qui fait sens :
Dans son entreprise de reconstitution des repères de la vie – la sienne – une autre – Boltanski semble avoir choisi de peupler l’existence figurée d’objets empruntés à l’existence réelle. Il est en tout cas tangible, dans sa démarche, que c’est de l’occupation obstinée et subjective de l’espace de vie par ces menus objets mis dans l’espace de l’art que viendra l’espoir d’éviter le vide du sens et la disparition[15].
Il va sans dire que, à la manière de Boltanski, les reliques de l’art contemporain prennent fréquemment la forme de ready-made. De fait, les reliquats sont rarement soumis à la composition et il n’y a habituellement aucune forme prévue. Ils sont directement tirés du monde objectif pour être mis dans l’enceinte du lieu d’exposition, ce temple moderne, et conviés à participer à la communion nécessaire à l’œuvre d’art conceptuelle de notre époque contemporaine. Si les reliques se présentent sous la forme de ready-made, c’est premièrement pour s’assurer de leur probité. En effet, si l’artiste l’avait soumis à un acte démiurgique, son pouvoir s’en serait vu altéré puisque la relique doit être lié au concept évoqué de manière naturelle. Son pouvoir de transcendance est aliénable s’il ne se base pas sur une vérité, caractéristique fortement théologique. De plus, l’utilisation du ready-made permet d’ouvrir la signification de l’œuvre à une universalité. Détaché de la subjectivité de la création, le ready-made ouvre la porte à une compréhension universelle. Encore une fois, la relique utilisée en art, en étant ready-made, rejoint la relique théologique. Cet aspect universel est possible grâce à deux caractéristiques de cette forme d’art, sa simplicité et son univocité[16]. De fait, «le ready-made est d’une simplicité biblique […] [et] la simplicité est la prérogative absolue de Dieu car on ne peut introduire de complexité en Dieu sans le faire dépendre d’une simplicité plus fondamentale et le rendre imparfait»[17]. Donc, grâce à sa simplicité, la relique ready-made rejoint la théologie Scholastique et, par conséquent, Dieu. Si les reliquats sont ready-mades, alors ils ne sont pas uniquement simples, mais également univoques. De fait, «le ready-made ne partage pas l’art, il saisit une essence commune. Il ne spécifie pas, il découvre une univocité de signification». Alors, tout comme l’être suprême est universel, la relique aussi possède, grâce à sa simplicité et son univocité, un sens universel, postulat qui rend possible la communion, et donc, la croyance en l’œuvre. En effet, si le sens de l’œuvre n’était pas le même pour tous, comment serait-il possible de croire en une présence transcendante?
Si pour Jean Clair la relique n’est qu’objet empreint d’une matérialité et d’une objectivité immédiate, il nous apparaît évident qu’il en est autrement. Ce dernier voit l’origine de la relique comme s’inscrivant dans le sillage de la modernité, dans les balbutiements du collage. Pour Jean Clair, le collage c’est «voir le tableau non pas comme une fenêtre sur la contemplation, la composition, la lumière, mais comme sa matérialité d’objet plat, de surface sans profondeur[18]». Le tableau classique était quant à lui «une hypnose légère, […] la promesse de retrouver l’objet total[19]». À la suite de ses définitions, il nous apparaît clair que la relique ne peut cadrer dans une définition qui prendrait en considération uniquement sa matérialité brute puisque nous avons établi que celle-ci est un véhicule permettant une communion promettant de retrouver une présence totale. C’est donc à la définition du tableau classique de Jean Clair, dans son essence, que la relique semble s’attacher. Tandis que la modernité artistique s’est désincarnée, c’est à une véritable réincarnation de l’art que nous assistons. Il y aurait donc apophatisme en art contemporain, non pas dans le sens où il y a «incompréhensibilité de l’essence de l’horreur»[20], mais dans le sens où l’on assiste à la transcendance d’un art qui a pour fin propre l’union, la déification. Dieu étant ici l’œuvre d’art, et l’art étant non pas la relique, mais l’entité totale, le concept[21].
CLAIR, JEAN, De Immundo, Apophatisme et Apocatastase dans l’art d’aujourd’hui, Paris, Galilée, 2004.
GUERRIN, FRÉDÉRIC ET MONTEBELLO, PIERRE, L’art, une théologie moderne, Paris, L’Harmattan, 1997.
GRENIER, CATHERINE, L’art contemporain est-il chrétien? Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, Collection Rayonart, 2003.
SOURGINS, CHRISTINE, Les mirages de l’Art contemporain, Paris, La Table Ronde, 2005.
OTTO, RUDOLF, Le sacré. L’élément non rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel. Tr. Fr. A. Jundt. Paris, Payot, 1949.
DUCHAMP, MARCEL, Duchamp du signe, Paris, Champs Flammarion, 1994.
NIETZSCHE, FRIEDRICH, Humain, trop humain, Paris, Librairie générale française, 1995.
POMIAN, KRZYSZTOF, Des saintes reliques à l’art moderne, Venise-Chicago XIIIe-XXe siècle, Paris, Éditions Gallimard, 2003.
HEINICH, NATHALIE, Martyrologie de l’art moderne, in L’art moderne et la question du sacré, sous la direction de Jean-Jacques Nillès, Paris, Les Éditions du Cerf, 1993.
LOSSKY, VLADIMIR, Essai sur la théologie mystique de l’Orient, Paris, Les Éditions du Cerf, 2005.
DUNS SCOT, JOHN Sur la connaissance de Dieu et l’univocité de l’étant, Paris, Presses Universitaires de France, 1988
[1] CLAIR, JEAN, De Immundo, 2004, p.64
[2] GRENIER, CATHERINE, L’art contemporain est-il chrétien?, 2003, p.109
[3] HEINICH, NATHALIE, Martyrologie de l’art moderne, 1993, p.207
[4] SOURGINS, CHRISTINE, Les mirages de l’Art contemporain, 2005, p.199
[5] CLAIR, JEAN, De Immundo, 2004, p.85
[6] Ibid, p.92
[7] Ibid, p.80
[8] SOURGINS, CHRISTINE, Les mirages de l’Art contemporain, 2005, p.227
[9] GUERRIN, FRÉDÉRIC ET MONTEBELLO, PIERRE, L’art, une théologie moderne, 1997 p.201-212
[10] Ibid, p.242
[11] Ibid, P.204
[12] Ibid, P.240
[13] Ibid, P.240
[14] Ibid, P.256
[15] HINDRY, ANN in GUERRIN, FRÉDÉRIC ET MONTEBELLO, PIERRE, L’art, une théologie moderne, 1997 p.250
[16] GUERRIN, FRÉDÉRIC ET MONTEBELLO, PIERRE, L’art, une théologie moderne, 1997 p.172
[17] DUNS SCOT, JOHN Sur la connaissance de Dieu et l’univocité de l’étant, 1988
[18] CLAIR, JEAN, De Immundo, 2004, p.97-99
[19] Ibid, p.97-99
[20] Ibid, p.114
[21] Conception de l’apophatisme tirée de : LOSSKY, VLADIMIR, Essai sur la théologie mystique de l’Orient, Paris, Les Éditions du Cerf, 2005.
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